IA : Gagner la bataille des récits pour façonner son avenir

Dans une période d’effervescence autour de l’intelligence artificielle, qui est en train de bouleverser de nombreux aspects de nos vies, quels sont les grands enjeux qui agitent l’opinion et quelles premières réflexions en tirer pour les professionnels de l’information et de la communication ?
Pour y répondre, l’analyse des contenus publiés dans les médias et les conversations sur les réseaux sociaux, blogs et forums est toujours un exercice éclairant pour saisir les structures du débat et comprendre son influence sur les attitudes et les comportements. Si l’intelligence artificielle façonne d’ores et déjà le réel, la manière dont nous parlons de cette technologie peut également avoir un impact significatif sur la manière dont elle se développe, en orientant les priorités influençant les perceptions, l’acceptabilité et l’adoption auprès du grand public.
Parmi les grands enjeux liés à la révolution technologique, l’emploi est de loin celui qui domine l’espace médiatique au cours de l’année écoulée*.
L’impact sur l’IA sur le monde du travail est en effet le principal sujet qui au centre de l’attention et qui suscite de nombreuses inquiétudes. Une peur existentielle même pour certains qui craignent pour leur employabilité face aux progrès effrénés de la technologie. Que devient la raison d’être au travail si la machine est capable de faire aussi bien voire mieux que soi au travail ? Une peur du « grand remplacement » qui se répand également dans le domaine artistique (musique, cinéma, etc.) en raison des progrès fulgurants de l’IA, même si certains artistes considèrent que la machine ne pourra jamais remplacer « l’âme humaine ». Cette appréhension est surtout alimentée par son impact potentiellement déstabilisant sur les équilibres économiques de secteurs déjà fragiles, notamment lorsqu’il touche l’épineuse question des droits d’auteur.
Les thèmes liés à la souveraineté et à la sécurité nationale sont le deuxième enjeu le plus abordé dans les médias. L’IA est en effet de plus en plus présent au cœur du discours politique, à commencer par celui du Président de la République et du Ministre de l’Economie qui ont plusieurs fois marqué leur volonté de faire de la France un champion de l’IA tout en assurant un cadre régulé pour protéger les intérêts nationaux. Une actualité qui est particulièrement suivie par la presse en ligne et qui suscite de très nombreuses réactions de la part des internautes, en premier lieu lorsqu’il fait référence à l’usage de l’IA dans les stratégies militaires (propagande, détection, ciblage), dans des contextes comme l’Ukraine et Gaza.
L’environnement et la santé viennent ensuite dans le classement des enjeux, au coude-à-coude en termes de visibilité et d’engagement, et apportent une tonalité plutôt positive à la couverture médiatique de l’IA. Bien que les commentaires oscillent entre espoir et scepticisme, l’intelligence artificielle est globalement perçue comme une opportunité. L’IA est présentée de manière assez similaire dans les deux domaines : sans être la solution miracle, elle permet de gagner en temps et en efficacité grâce à sa capacité à analyser et à traiter de vastes quantités de données. Cela se traduit par la modélisation de scénarios d’adaptation dans le cadre de la lutte contre le réchauffement climatique, et d’une meilleure prise en charge des patients dans le domaine de la santé grâce à la détection précoce des maladies et au développement de nouveaux traitements.
Malgré ses avancées et ses promesses, l’IA est génératrice de nombreuses craintes qui sont d’autant de questions éthiques : libertés individuelles, contrôle social, responsabilité juridique ou encore discriminations. Des inquiétudes qui ont comme fil rouge la peur de l’inconnu face à une technologie au potentiel illimité et inconnu, mais qui, à date, ont une place par trop limitée dans l’espace médiatique. Le rôle des professionnels de l’information et de la communication semble donc crucial pour éclairer le débat sur ces sujets complexes et accompagner la réflexion sur son développement responsable. Cela passe un cadrage du débat en s’appuyant sur des faits et des données scientifiques, et en évitant les discours alarmistes ou sensationnalistes. La mission est donc d’orienter les termes du débat au lieu de se les faire dicter par les avancées technologie elles-mêmes, en favorisant un dialogue ouvert, éclairé et constructif. En résumé, pour garder le contrôle, l’humain doit garder un temps d’avance dans la manière de penser la technologie. « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : la citation attribuée Rabelais résonne plus que jamais à l’heure de l’IA.
* Données révélées par une analyse quantitative et qualitative des contenus issus des articles en ligne et des conversations sur les réseaux sociaux, blogs et forums entre avril 2023 et avril 2024 (contenus publics et disponibles, dans le respect de la RGPD, à l’aide de la solution de veille TalkWalker).
À propos de l’auteur
Ludovic Desmons est consultant indépendant en communication et marketing. Spécialisé dans l’analyse d’image, d’opinion et de tendances, il dirige le cabinet Infine Data & Conseil.
Ludovic était précédemment Senior Vice President de la filiale Data & Intelligence (DXI) du groupe Edelman. Il a commencé sa carrière en 2008 chez i&e décisions (désormais BCW). Il est enfin intervenant professionnel au CELSA depuis 2016 auprès du Master 2 professionnel Communication Entreprises, institutions et risque.